Des plaques de verre pour casser des briques

Les statistiques de consultation d’une bibliothèque numérique rassurent sur l’utilité et l’appropriation des documents numérisés. Mais ces chiffres ne disent rien des projets et des histoires qui se cachent derrière ces visites. Parfois, la complexité d’utilisation des formats de fichiers permet de lever le voile sur un usage méconnu.

Un corpus photographique exceptionnel pour l’histoire des monuments islamiques au Proche-Orient

En 2021-2022, la BULAC et le Centre de recherche sur le monde iranien (Cermi) ont accueilli en résidence la chercheuse Martina Massullo, dans le cadre du programme CollEx « Le patrimoine architectural en pays d’Islam dans le fonds iconographique Henry Viollet ».

Le fonds iconographique Henry Viollet est riche de 916 négatifs photographiques sur plaques de verre. Ces images ont été prises par un architecte de métier formé à l’archéologie qui s’est rendu entre 1911 et 1913 sur plusieurs sites de fouilles majeurs de la période islamique, situés au Proche-Orient, notamment en Perse.

La valeur de ces clichés tient à la documentation unique qu’ils apportent sur l’état de conservation de sites et de monuments qui ont été abondamment restaurés au cours du XX^e siècle et des premières décennies du XXI^e. Certains ont été restaurés de façon excessive, d’autres détériorés voire détruits. Viollet fut l’un des rares pionniers à s’écarter des principales voies touristiques pour explorer des régions peu connues. Parmi les édifices disparus documentés au cours de ses missions figurent, entre autres, la « porte du Talisman » à Bagdad, le mausolée Imam Dur au nord de Samarra, ou la mosquée de Kashan en Iran (1074) avec son remarquable mihrab en stuc.

Une photothèque numérisée aux multiples formats

Les supports sur plaque de verre sont bien évidemment d’une très grande fragilité. Le fonds conserve ainsi plusieurs tirages sur papier dont le négatif a disparu. Pour cette raison, le CNRS, propriétaire du fonds, a procédé dans les années 1990 à une numérisation de sauvegarde en haute définition. Ces clichés ont été stockés sur CD-Rom, en associant chaque image à son numéro d’inventaire, mais sans exploitation des métadonnées d’origine.

L’objet de la résidence visait ainsi deux objectifs : migrer les images numérisées sur serveur pour assurer leur archivage pérenne ainsi que leur diffusion ; documenter les images en exploitant les descriptions apportées par Henry Viollet et en s’appuyant sur l’expertise d’un réseau de spécialistes de l’archéologie islamique. La résidence a également permis le catalogage de l’ensemble du fonds Henry Viollet, où les images sont complétées par des carnets de croquis, des journaux de route et d’autres documents.

Le résultat de ce travail est disponible sur la Bibliothèque numérique aréale (BiNA) de la BULAC, classé par monument. Les images peuvent être assemblées, comparées ou rapprochées de documents d’autres bibliothèques numériques grâce au protocole IIIF.

Parallèlement, l’ensemble de ces images sont publiées sur le portail Internet Archive, où elles peuvent être consultées avec un fort niveau d’agrandissement. Elles sont également téléchargeables en haute définition au format Jpeg2000. Cette dernière option de téléchargement n’est toutefois pas proposée par défaut : le lien “Show All” vers les options complètes de téléchargement reste relativement discret.

Dans l’exemple ci-dessous, le fichier haute définition au format Jpeg 2000 est quatre fois plus volumineux que l’image jpeg affichée par défaut.

Un tel niveau de définition permet d’isoler des détails de l’image, comme l’ombre du photographe Henry Viollet qui apparaît ici dans un caméo sans doute involontaire :

Des images numériques au service d’une restauration architecturale

Cet ensemble iconographique a ainsi été identifié par une équipe du Centre de documentation et de restauration du patrimoine bâti de l’université Shahid Beheshti de Téhéran, dirigée par le Dr Haidi Safaiepour. Elle prépare un projet de restauration de la tour Gonbad-e Qabous, un monument funéraire du XI^e siècle de notre ère, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Haute de 53 mètres, elle est réputée être la tour de brique la plus élevée du monde.

L’équipe de restaurateur cherche notamment à évaluer l’ampleur des restaurations et consolidations apportées au monument au cours du XX^e siècle, autrement dit, à distinguer les briques d’origine d’ajouts postérieurs. L’objectif est de préciser autant que possible les techniques de construction utilisées à l’origine afin de les reproduire les plus fidèlement possible dans un processus de restauration qui vise à remplacer les ajouts tardifs. Pour ce faire, ils se sont tournés vers l’archive d’Henry Viollet qui comporte quatorze photographies de la tour, prises sous différents angles. En l’absence de documents d’archives documentant la construction ou d’autres sources iconographiques, les images prises par Henry Viollet, avec un regard d’architecte, ont été identifiées comme une source essentielle pour ce travail d’analyse des matériaux et techniques de construction.

La disponibilité d’images en haute définition, librement téléchargeables, a ainsi permis à l’équipe d’architectes, après quelques échanges avec la BULAC, de constituer un corpus iconographique leur permettant d’étudier le monument brique à brique.

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